Bonne année encore un peu...
mercredi 6 janvier 2010 dans Humeurs
Un texte de Pedro le Voyard
J’ai froid, non de dieu que j’ai froid. J’ai froid aux pieds, j’ai froid aux mains,
j’ai les doigts gelés sur le goulot de la bouteille glacée qui ruine la
poche de mon manteau. Le vent me pique et les doigts et le visage...
Presque plus de cigarettes. Deux ? Trois encore ? Je ne sais plus. J’ai
récupéré un Bic je ne sais où... Presque vide. Il est mon feu, il est ma
lumière. J’ai les chaussettes trempées qui font un drôle de bruit à l’intérieur
de mes chaussures. Je n’ai même pas de chien maigre pour me réchauffer.
Helmut, lui a un chien qui lui tient chaud. Qui lui tient tiède ?... Un chien
décharné et sale, un chien qui l’aime comme un chien...
Putain que j’ai froid, que je me sens sale et que je sens mauvais. J’ai les
mains et tout le corps qui pèguent, qui collent comme un vieux papier tue-
mouches. Cinq jours que je ne me suis pas lavé, que je ne me suis pas
rasé... J’ai la gueule et les cheveux en vrac, j’ai la tête qui me gratte et des
croûtes me viennent sous les doigts, sous les ongles. J’ai du mal à
marcher, même de travers. Le kiravi me brûle et la tête et les entrailles. Le
vent glacé me transperce, je remonte ce qui me reste de col à ce manteau,
cette rugosité grasse et élimée. Je rentre ma tête dans mes épaules autant
que je le peux, le vent me pique aux yeux.
Plus je bois et plus j’ai froid. Je le sais tellement que boire ne réchauffe pas,
que c’est même l’inverse. Il me glace de l’intérieur. Un fond de rouge, il ne
me reste qu’un fond.
Le pont, là, sonnant dans la nuit et dans l’ombre du son de mon pas
hésitant, dans la nuit noire baignée par la lueur morbide d’un lampadaire
unique. Merde, une flaque de neige mouillée. La glace à la surface de l’eau
crisse et cède sous mon poids. Ploutch fait mon pied dans l’eau glacée qui
m’envahit la grole gauche. Putain et merde et merde ! J’arrive à proximité de
mes cartons. Ils dansent la sarabande infernale de mon ivresse. Un vieil
emballage de machine à laver, du carton épais qui protège de l’humidité et
du vent. Du carton humide comme l’air ambiant. Je n’ai pas le courage de
faire du feu des quatre planchettes de bois amassées devant l’entrée de
mon gîte. Dans un carton un peu plus loin un chien se gratte une puce ou
un troupeau d’y-celles en gémissant doucement pour ne pas réveiller son
maître.
J’allume ma lampe à pétrole chouravée sur des travaux. La flamme hésite
puis danse mal dans le globe de verre opaque. Le verre est noir de fumée.
Je n’y vois pas grand chose, mais voir quoi ? Je retire mon manteau qui n’a
plus du manteau que le nom et la crasse indélébile. J’ai du mal, c’est
tellement exigu. Je me contorsionne comme un poisson en manque
d’oxygène. Je retire mes chaussures ou du moins ce qu’il en reste. La
semelle se sépare comme à regret du cuir élimé qui se déchire par endroit.
Des Nike fut un temps. Je retire mes chaussettes sales et trempées. Putain,
le froid me transperce. Je cherche une paire presque sèche mais
cependant trempées d’humidité. Je m’essuie les pieds avec. De toute façon
elles sont sales depuis si longtemps.
Putain que j’ai froid et que la nuit est épaisse autour de moi. J’entends
Simon, un prof de philo que je ne sais comment il est là cracher ses
poumons. Loin là-bas un chien hurle à la mort. Je m’enfile dans mon duvet
qui pue l’agonie et dont le col luit de crasse usée. Il est glacé dedans
comme dehors. Je tire par dessus la grosse couverture rouge. Je rabats un
bout de carton d’emballage qui me sert de porte. J’extirpe de ma poche un
reste de pain et jambon sans beurre... Un festin si je ne le vomis pas avec le
rouge qui me torture. Je fais durer ce moment autant que je le peux. Je
mastique avec application puis je rentre mes mains dans mon pantalon et
dans mon slip, entre mes jambes, contre mes couilles et mon sexe. Seul
endroit de mon corps encore un peu chaud.
Je grelotte comme un malade. J’ai mal à la tête... La grippe "A" ? Je ris ! Ma
respiration fait de la fumée comme lorsque j’étais gosse, l’hiver quand
j’allais à l’école... Le froid m’engourdit doucement, lentement,
insidieusement. Je ne sens plus mes pieds... Je n’ai plus de pieds ou je n’ai
plus froid. Je monte mon duvet par dessus ma tête, par dessus mon
bonnet. Un jour il fera jour, un jour il ne fera plus nuit... C’est vrai
qu’aujourd’hui c’est la fête ? Bonne année...
Pedro le Voyard
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