Pourquoi l’annulation du Festival "Rencontres Toucouleurs" 2008

mardi 1er juillet 2008 dans Humeurs


par Nicky TREMBLAY, directrice de Dell’Arte

Le festival Toucouleurs est l’un des derniers festivals qui a lieu sur les quartiers. Il devait se dérouler le week end dernier à la Faourette. Par suite d’un décès survenu sur le quartier, le festival a été annulé. Voici le communiqué de Niki Tremblay directrice de Dell’arte, l’association qui organise le festival.

L’annulation du festival est non seulement à la hauteur de la violence quotidienne sur les quartiers mais aussi la mise en lumière des réalités que nous vivons en permanence. Depuis ces derniers mois, des travailleurs sociaux et des bénévoles sont victimes d’agressions physiques (Agent du Centre Social, éducateur, infirmière, animatrice... ).
Alors oui, organiser des manifestations publiques sur les quartiers n’est pas sans risque ! Nous le savons et nous le mesurons à chaque instant.

Aussi cette décision, extrêmement difficile à prendre peut-être perçue, par certains, comme un acte de recul, voir de faiblesse... pour d’autres comme un acte responsable. De toute façon, sur les quartiers, nous avons la tête entre le marteau et l’enclume... Si nous annulons, nous cédons à la loi du quartier et si nous maintenons, nous prenons le risque de la violence et donc du drame !

Aussi, pour nous, cette décision si douloureuse soit-elle, marque notre volonté de :

1° - respecter la famille en deuil à 10 mètres de la scène des concerts, c’est une question de dignité (nous travaillons sur le quartier depuis 15 ans et nous connaissons la plupart des familles de la Faourette) ;

2° - d’apaiser les tensions sur le quartier, c’est notre boulot au quotidien ;

3° - d’assurer la sécurité des professionnels, des artistes et des bénévoles intervenants sur le festival ainsi que le public, c’est notre responsabilité.

Par ailleurs, cette décision a été prise après avoir rencontré la famille endeuillée, un grand nombre d’habitants, et l’ensemble des intervenants professionnels, bénévoles et artistes. Notre choix a été de privilégié l’humain sans pour autant ignorer la récupération des jeunes.

Alors oui, en tant que responsable, j’ai pris cette décision et je l’assume, d’abord pour toutes ces raisons mais aussi sachant s’il y avait eut un d’drame :

1° - on ne m’aurait fait aucun cadeau (moi non plus, du reste) en me rappelant que cela fait 15 ans que je travaille sur le quartier donc bien placée pour appréhender et mesurer la situation !

2° - c’était la destruction de 15 ans de boulot,

3° - c’était ignorer les habitants,

4° - c’était encore une fois l’occasion d’enfoncer un peu plus les quartiers alors que nous nous battons pour modifier son image.

Par ailleurs, je mesure pleinement toutes les conséquences de l’annulation (y compris celles financières puisque ce n’est pas un cas de force majeure) mais en même temps je les relativise car il n’y a pas eu de drame humain. Enfin je pense que pour pouvoir prendre ce genre de décision, il faut avoir les pieds dedans jusqu’au cou !

Pour autant ne nous voilons pas la face et sortons de ce marché de dupes ! Cette situation illustre 30 ans de politique sur les quartiers, d’abandon, d’exclusion, de discriminations, d’isolement, de rupture avec l’extérieur, d’une absence criante de mixité sociale etc... Ce qui génère de fait du repli communautaire où le privé prime sur le public, de l’intolérance, la souffrance, de la fragilité et de la détresse et donc de fait de la violence. Car la violence institutionnelle subie au quotidien se traduit forcément à un moment donné par de la violence physique. Ainsi pour un certain nombre de jeunes, le moindre incident ou évènement devient un prétexte à mettre le feu pour exister et se faire reconnaître.

Exemple flagrant de cette situation. La maman qui est décédée, vendredi matin, est une personne reconnue du quartier, mère de deux garçons, dont l’ainé a été expulsé du territoire, il y a quelques années, et le plus jeune vinent d’être incarcéré la semaine dernière...

Même si la proximité n’était pas sans posé problème, si la personne décédée avait été une personne anonyme, voire d’une autre communauté, les jeunes n’auraient certainement pas cherché à utiliser cet évènement pour affirmer leur loi. Dès le jeudi soir, la surenchère à la violence était ouverte. Le vendredi matin, cela se propageait jusque sur Bagatelle, Bordelongue, Bellefontaine et Reynerie.

Alors certes nous avons peut être reculé, mais pour sûr, nous avons désamorcé des actes de violence évidents. Et contrairement à d’autres, nous pensons que que ce n’est pas une si belle victoire pour ces jeunes car nous avons tué dans l’œuf les affrontements qu’ils souhaitaient. De plus, le fait d’avoir pris le temps de dialoguer avec les habitants et de prendre en compte leur situation, renforce notre crédibilité. Car dans la situation présente, les familles étaient beaucoup plus sensibles à la mort d’un proche qu’au festival. Donc à nous maintenant, tous ensemble, de maintenir et développer le dialogue avec les habitants.

Maintenant, la question que nous posons est : sommes-nous capables collectivement de nous servir de cet "échec" pour le transformer en "réussite" constructive ? Car nous sommes tous convaincus qu’il faut éviter de tomber dans une interprétation raciale ou toutes formes d’instrumentalisation, tant des jeunes du quartier que de personnes extérieures.

Aussi nous proposons, le plus tôt possible, des rencontres avec l’ensemble des politiques locaux afin, d’une part, d’analyser et de comprendre cette situation pour mieux appréhender les suites constructives à mettre en œuvre sur les quartiers.

Par ailleurs nous avons programmé une séance de cinéma de plein air le 29 août. Nous proposons d’organiser dans le même temps un espace de dialogue avec les habitants autour de la tente caïdale de ESMA et poser un acte de solidarité pour la famille (ex : collecte, vente de gâteaux, de thé etc...)
Ensuite nous proposons d’organiser fin septembre, début octobre, une journée de mini festival sur le quartier, sous le chapiteau, avec de nouveau des espaces de dialogue, de projection de film... et de concerts avec les artistes programmés sur Toucouleurs qui sont tous prêts à revenir...
Ce ne sont pour l’heure que nos petites propositions.

Pour sur, aujourd’hui, il ne suffit plus de petites mesurettes à l’image du nouveau plan "espoir banlieue" ! Il s’agit d’une véritable volonté politique, accompagnée de moyens décents à la hauteur de l’ampleur de la tache.

Aussi nous comptons vivement sur la nouvelle équipe municipale mais aussi sur l’ensemble des politiques locaux pour transformer sur le fond la réalité sur les quartiers toulousains, tant sur la mixité sociale, la mobilité, l’économique que, bien évidemment, sur la place de la culture dans les quartiers.

Toulouse, le 28 juin 2008.

Nicky TREMBLAY

Directrice de Dell’Arte

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