Un débat D’Acrimed : Tous les Médias sont-ils de droite ?

Jeudi 24 avril à 19h00 à la Bourse du Travail - salle Jean Jaurès- 19 place Sernin, 31000 Toulouse

lundi 7 avril 2008 dans Ici et là


Débat Acrimed

C’est le titre du dernier ouvrage d’Acrimed :
Tous les médias sont-ils de droite ?
- Du journalisme par temps d’élection présidentielle - ]
- En vente en ligne sur le site des Editions Syllepse

Tous les médias sont-ils de droite ? Évidemment, non. Du moins si l’on s’en tient aux orientations politiques qu’ils affichent. Mais alors ?...

Présentation [1]

Tous les médias sont-ils de gauche ? Écoutons Nicolas Sarkozy : « La presse est globalement de gauche, non pas socialiste, non pas partisane, mais culturellement de gauche. » Interrogé le 13 décembre 2007 par Le Nouvel Observateur, il revient ainsi sur la campagne présidentielle et sur le rôle des médias. Et, péremptoire, explose : « La presse, globalement, a été opposée à ma candidature. C’est son droit. Dire qu’elle m’a aidé, c’est à exploser de rire ! » L’hilarité présidentielle peut elle-même prêter à rire. Mais – c’est incontestable – dans l’ensemble, la « culture » des journalistes français n’est pas celle de la « droite décomplexée ». Pas aussi pleinement que notre rieur pourrait le souhaiter, en tous cas.

De là à affirmer que « la presse est globalement de gauche » et laisser à entendre que tous les médias le sont, c’est recourir à une figure oratoire de tribun des médias, destinée à attirer leur attention en les prenant à contre-pied. Comment le nier ? Les médias ont servi Nicolas Sarkozy, notamment parce qu’il a su s’en servir. Pourquoi ? Comment ? Avec quelle efficacité ? Répondre à ces questions est moins aisé qu’il n’y paraît.

De gauche à droite

Dans l’orchestre médiatique, les instruments ne jouent pas tous la même partition, mais l’effet d’ensemble n’est pas aussi dissonant qu’on pourrait le croire. Des oreilles attentives peuvent déceler sans peine les mêmes mélodies et les mêmes stridences. Ce sont certaines d’entre elles que nous avons essayé de mettre en évidence. Ce sont, nous dit-on, les marques distinctives d’une « démocratie d’opinion », dopée aux sondages et aux images. Ce sont surtout des contributions, non seulement à un statu quo institutionnel éminemment discutable, mais à une médiatisation de la vie publique dont la prétendue modernité favorise tous les conservatismes. Favorise : rien de plus, mais c’est déjà beaucoup trop.

Les médias en effet ne sont pas tout-puissants. « Le pouvoir dont ils disposent – écrivions-nous dans un livre précédent - n’est ni uniforme, ni écrasant : il diffère selon les médias et ne s’exerce pas mécaniquement sur des “consommateurs” passifs. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un “pouvoir”, mais de plusieurs [2] ». Quels sont, schématiquement, ceux qui se sont exercés dans la campagne électorale ? D’abord un « pouvoir » d’occultation : quand les jeux politiques relativisent les enjeux, quand les personnages tendent à se substituer à leurs projets, les médias, pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu, cachent en montrant [3]. Ensuite, un pouvoir de relégation : quand les mauvais comptes du pluralisme se doublent de mises en débat qui privent de son sens la parole de ceux à qui ont prétend la donner, les médias contribuent à atrophier la démocratie dont ils se prétendent les gardiens. Enfin un pouvoir de problématisation et de légitimation : quand les choix politiques sont consignés dans un cercle restreint d’options équivalentes, les commentateurs se comportent en acteurs de la campagne qui essaient de faire pression sur les formations et les responsables politiques.

Toutes ces tendances agissent dans le même sens : de gauche à droite.

Interdépendances

Quant aux autres « pouvoirs » que l’on prête aux médias, ils sont souvent d’autant moins grands que le pouvoir des médias n’est pas autonome. Les acteurs médiatiques et les acteurs politiques sont les coproducteurs des agendas de campagne, de la scénographie électorale et des personnages présidentiables. « Les invités politiques de la télévision ne sont pas des leaders politiques parce qu’ils sont médiatiques, mais ils sont médiatisés parce qu’ils sont déjà des leaders politiques consacrés [4] » observait Eric Darras en 1995 en se fondant sur l’analyse des invitations dans les grandes émissions politiques du moment (« L’Heure de vérité » ou « 7 sur 7 »). Médias et leaders ajustent toutefois, non sans conflits, leurs exigences et construisent ensemble des personnages médiatiques, leur vie, leur œuvre, leurs thèmes de campagne.

Si, pendant la campagne, Ségolène Royal a souvent été présentée, non sans quelques raisons, comme la candidate des médias, imposée à son propre parti par une opinion que les instituts de sondages mesureraient et que les sommités éditoriales représenteraient, on peut à l’inverse considérer avec Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki que c’est la transformation du Parti socialiste lui-même, en « entreprise de conquête de mandats électifs, prêt à tous les ajustements tactiques pour gagner ou conserver les postes de pouvoir à tous les niveaux [5] » qui explique l’importance de la communication, des sondages et des médias dans le dispositif de campagne du PS. « L’idée que le parti peut se passer de militants et que les médias comptent plus que la mobilisation militante semble de plus en plus admise par les cadres socialistes [6] », précisent ces deux chercheurs.

Si Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal, le premier plus que la seconde et tous deux plus que tout autre, ont bénéficié du soutien des principaux médias, cet appui tient d’abord et avant tout au mécanisme de la campagne présidentielle qui, comme l’explique Annie Collovald, « offre un pouvoir singulier à ceux dont le crédit principal provient de leurs relations avec des acteurs de plus en plus déterminants en politique (instituts de sondage, presse, patronat) [7]. » Si pour les bénéficiaires de ces relations et de ces atouts, les médias dominants sont considérés comme des auxiliaires c’est qu’ils sont de plus en plus persuadés qu’« une campagne électorale doit d’abord mobiliser les commentateurs et non les électeurs, leur opinion important moins que celle de ceux qui la font [8]. »

C’est donc la puissance que les acteurs politiques attribuent aux médias et au journalisme d’en haut qui dote ces derniers d’une influence dont ils ne disposeraient pas sans cette croyance. Dès lors, il ne suffit pas de relever ce que font les médias en campagne pour comprendre un rôle qui dépend de celui que les candidats en campagne tentent de leur faire jouer...

[…]

Dès lors, aussi, on se prend alors à rêver d’une gauche de gauche, moins fascinée par les écrans, moins intimidée par les médias dominants, prête à se mobiliser pour contester leur domination et mettre en œuvre les propositions de leur transformation. Une gauche de gauche qui, pour se faire entendre, saurait refuser de jouer en permanence le jeu de ces médias quitte à ne pas s’excuser, si nécessaire, pour cette interruption momentanée de leurs programmes.


[1] Extraite de la conclusion de Tous les médias sont-ils de droite.

[2] Henri Maler et Antoine Schwartz, Médias en campagne. Retours sur un référendum, Syllepse, 2005, p. 9.

[3] « La télévision peut, paradoxalement, cacher en montrant ». Pierre Bourdieu, Sur la télévision, Raisons d’agir, p. 17-18.

[4] Eric Darras, « Le “pouvoir médiacratique” », Politix n°30, 1995, p. 187.

[5] Rémi Lefebvre, Frédéric Sawicki, La société des socialistes. Le PS aujourd’hui, éditions du Croquant, 2006, p.19.

[6] Ibid., p. 192.

[7] Annie Collovald, « Curieux “ printemps de la démocratie ”... », Le Monde diplomatique, mai 2007.

[8] Ibid.

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