Lexique médiatique pour mauvais temps politique

jeudi 6 juin 2013 dans Humeurs


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par Henri Maler, Julien Salingue, le 5 juin 2013

Court dictionnaire des idées reçues (accompagnées de quelques citations imaginaires).

- « Activistes ». Terme préférable à « militants » quand ces derniers défient une autorité réputée pour son « réalisme »* ou son « pragmatisme »*. « Des activistes occupent le terrain dédié à un aéroport par le maire de Nantes ».

- « Adaptation ». S’impose à tous, en particulier aux « inadaptés » qui la refusent et témoignent ainsi de leur « extrémisme »*.

- « Affaires ». Terme générique, employé non sans fatalisme, pour désigner les malversations politico-économiques à répétition, sans trop s’indigner du système qui les rend possibles. « Monsieur Cahuzac, pouvez-vous éviter de laisser traîner vos affaires ? »

- « Archaïsme ». Terme employé pour qualifier tout propos visant à affirmer qu’il existerait des acquis sociaux à défendre, des droits sociaux à conquérir, voire même des emplois à préserver. « L’archaïsme de cet ouvrier qui, en 2013, vêtu d’un bleu de travail, défend son emploi menacé de délocalisation, fait peine à voir ».

- « Choix »
. Se présentent généralement à l’heure. À l’heure des choix, il n’en reste pratiquement aucun pour éviter le pire prévu par ses prophètes. « Taxer les bénéfices, au risque d’encourager la fuite des capitaux, la guerre civile et le retour de la lèpre, ou travailler plus longtemps, ce qui semble logique au vu de l’allongement de l’espérance de vie ? La France est à l’heure des choix ».

- « Classe moyenne ». Espèce en expansion dont les frontières ne cessent de s’élargir, au point d’englober des salariés sous-payés et de petits actionnaires. La mettre au pluriel, pour souligner qu’elle se multiplie et qu’elle absorbe plus de la moitié de la population.

- « Classe ouvrière ». Espèce disparue, dont quelques spécimens se manifestent encore, mais sous le nom de « salariés ». « Des peintures représentant des scènes de vie quotidienne de la classe ouvrière ont été découvertes sur les parois d’une grotte de la région Nord-Pas-de-Calais ».

- « Compétitivité ». Ardente obligation, à la différence de la coopération ou de la solidarité, condamnées par le « pragmatisme »*.

- « Consensus ». Désigne un accord recherché ou obtenu, du moins quand il traduit la convergence de point de vue entre élites politiques, économiques et… médiatiques. Que ces dernières forment une minorité n’empêche pas que le consensus puisse être « large », notamment à la sortie des sommets européens. « Cette proposition fait l’objet d’un large consensus. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre journal la défend âprement, n’en déplaise aux extrémistes de gauche, de droite, du centre et d’ailleurs ».

- « Conspirationnisme ». Vice rédhibitoire non seulement des conspirationnistes réellement existants, mais également de toutes les explications qui invoquent des causes invisibles à l’œil nu des commentateurs. Seule, la main invisible (et généreuse) du marché n’est pas conspirationniste.

- « Démagogie ». Symptôme du « populisme »*. À la différence de la pédagogie médiatique qui, avec réalisme, enseigne… le « réalisme »*, la démagogie se signale par sa consternante contestation de la médiacratie et des évidentes évidences économiques et sociales dont elle se repaît. « Parler d’une augmentation du Smic sous le prétexte fallacieux que les richesses n’ont jamais été aussi mal réparties, c’est de la pure démagogie ».

- « Europe ». N’est plus une déesse grecque. C’est pourquoi il en faut « plus », de préférence sans précision superflue.

- « Eurobéat ». Vocable absent du vocabulaire médiatique, alors qu’il serait très économique de l’employer par opposition à « eurosceptique »*.

- « Eurosceptique ». Vocable très économique, puisqu’il englobe toutes les critiques récusées par les eurobéats. L’eurosceptique est parfois « europhobique », dans la nomenclature des maladies mentales diagnostiquées par la médiacratie.

- « Escalade ». Conséquence inévitable des « excès »* et de la « surenchère »*.

- « Excès ». À dénoncer sans « modération »*.

- « Extrêmes ».
Vocable englobant des réprouvés que tout oppose et que les agitateurs d’épouvantails amalgament avec discernement, pour les disqualifier simultanément et sans effort.

- « Extrémismes ». Points cardinaux en excès sur la carte politique du bien. Vont généralement par deux et fréquemment « se touchent ».

- « Isolement ». Risque encouru ou position déjà occupée par tous ceux qui n’œuvrent pas au « consensus »*. « Certes, votre raisonnement est incontestable, vos chiffres sont exacts et vos propositions crédibles, mais ne craignez-vous pas l’isolement ? »

- « Modèle ». À défendre quand il est « social européen ». À imiter quand il est « allemand ». À réformer lorsqu’il est « social français ». À réprouver dans tous les autres cas.

- « Modération ». En faire preuve, mais sans « excès »*.

- « Pensée unique ». La pensée d’en face.

- « Petite phrase ». Prélevée par les médias sur un long discours, préparée par l’orateur pour être reprise par les médias, reprise par les médias dans le but d’être reprise par les médias, qui déplorent l’invasion des petites phrases.

- « Plus d’Europe ». Déesse supplétive, dont il convient d’invoquer régulièrement l’intervention.

- « Polémique ». Désigne n’importe quel désaccord quand les médias s’en emparent. Dès ce moment, « ça fait polémique ». En version journalisme branché, on peut parler de « clash », surtout quand il fait le « buzz ». « La question du port du béret dans les cours des écoles primaires fait polémique ».

- « Populisme ». Vocable sciencepipeaulogique très éclairant puisqu’il désigne, très rigoureusement, toute adresse au peuple, à l’exception de toutes celles… qui ne sont pas populistes. Est menacé de populisme, tout individu, discours ou parti qui prétend, à tort ou à raison, tenir compte des points de vue et des préoccupations des personnes non assujetties à l’ISF.

- « Pragmatisme ». Synonyme de « réalisme »*, vocable trop usé pour qualifier les réelles « adaptations »*, et notamment l’adaptation au pragmatisme.

- « Programme ». Se dit des propositions et des engagements d’un parti politique, quand on les évoque pour en dire le moins possible. Trop long pour tenir en un tweet, à la différence d’une « petite phrase »*. « Dans les vingt secondes qui nous restent, pouvez-vous nous résumer votre programme économique et social ? »

- « Radicalisation ». Effet de la « surenchère »* ou de la poursuite désastreuse d’objectifs que la médiacratie, convertie au « réalisme »*, condamne ou décide d’abandonner. « Exiger la réquisition des logements vides depuis 50 ans témoigne d’une dangereuse radicalisation ».

- « Réalisme ». En faire preuve. Vertu des chefferies politiques quand elles se conforment aux vœux des chefferies éditoriales. Synonyme de « pragmatisme »*, vocable mieux adapté aux nécessaires « adaptations »* et à l’indispensable « responsabilité »*. « En exigeant la suppression de l’Inspection du travail le Medef a une nouvelle fois fait la preuve de son réalisme ».

- « Responsabilité ». En faire preuve. Est responsable, en langue médiatique ordinaire, l’attitude, la décision ou la mesure mais aussi… le responsable dont l’ « adaptation »* témoigne d’un grand « pragmatisme »*. « Les salariés qui, par souci de compétitivité, acceptent sans broncher la délocalisation de leur entreprise, font preuve d’un bel esprit de responsabilité ».

- « Sacrifices ». Sont inévitables, du moins quand il s’agit d’acquis sociaux qui bénéficient trop largement aux classes populaires. « La conjoncture économique étant économique et conjoncturelle, les Français doivent évidemment se préparer à faire des sacrifices ».

- « Sceptique ». Personne dont le point de vue ne trouve pas sa place dans les colonnes des tableaux des instituts de sondages. « Près d’un Français sur quatre partage le point de vue selon lequel "l’austérité, c’est fun". Les autres sont sceptiques ».

- « Surenchère ». Excès d’ « excès »*. Se manifeste une fois que les commissaires-priseurs des médias ont obtenu satisfaction sans avoir à ouvrir les enchères. Bien souvent, la surenchère conduit à la « radicalisation »*.

Phrase automatique :

N’en déplaise aux sceptiques, il convient aujourd’hui de faire preuve de responsabilité, de cesser toute démagogie et d’opter pour le réalisme, en repensant avec pragmatisme le modèle social français et en acceptant de procéder aux nécessaires sacrifices, sous peine de faire le jeu des extrêmes et du populisme.

Henri Maler et Julien Salingue

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1 commentaire

  • Lexique médiatique pour mauvais temps politique

    par Mercereau Maryse 27 décembre 2013 14:48

    {} Quelle heureuse idée a eue mon ami Pierre de m’envoyer cette page !!

    Ne serait-ce pas de la politique ??
    En plus le 5 juin est mon jour anniversaire, parfait quoi !
    Continuez a décrypter leur sémantique, ça fait du bien.
    Merci
    Maryse Mercereau

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