Discussion : Le contrôle de l’image entre le filmeur et le filmé

jeudi 22 avril 2010 , par tvbruits dans DISCUSSIONS


Voici une discussion que nous avons entamé sur la liste interne de l’association. Nous vous faisons part des remarques de chacun et nous vous invitons à poursuivre la discussion sur le forum de l’article.

(Une) discussion que nous venons d’avoir avec Nico et Mathieu sur le contrôle de l’image. Si après avoir tourné un sujet les personnes
filmées te demandent de voir le film avant diffusion cela parait normal mais jusqu’à quand ? Est-ce que tu dois changer ton sujet parce que tu n’as pas dit ce que les personnes voulaient montrer d’elles, mais en même temps c’est à toi en tant que réalisateur de dire ce dont tu as envie... Où est placée l’honnêteté vis à vis de son sujet et où est l’honnêteté intellectuelle du réalisateur ? Jusqu’à quel point le sujet peut avoir le dernier mot sur un sujet réalisé ?

Co


Sacrée bonne question !!!!
Et qui va se poser de plus en plus...
J’ai le sentiment qu’en général les gens savent ce que c’est que leur image et la "gèrent". Et puis il y a ceux qui veulent couler ton sujet, pour plein de raisons... Il y a ceux qui ne sont pas à la hauteur de leurs exigences, je repense à ’L’Otan à Strasbourg" ou des gens un mois après demandaient à
être floutés..., Toujours à Strasbourg, l’interdiction de filmer sur le camp était claire, mais pour moi ça a été annonciateur de quelque chose...

Il se peut très bien que d’ici quelques temps il y a plein de sujets que l’on ne pourra plus tourner... Soit que le milieu ne l’autorisera plus (quartiers impopulaires) soit que les actions seront tellement radicales que personne en voudra laisser trainer sa tronche sur le web.

C’est assez nouveau , le fait de figurer dans un film qui est accessible à tout moment, pendant des années, et de partout sur la planète.
On peut comprendre que quelqu’un-e n’ait plus envie quelques années
après d’être vu à l’insu de son plein gré sur divers sites dans des
situations... C’est un sacré problème, qu’il faudra étudier lors des prochaines
univer-cités de Tvbruits... c’est quoi les dates ?

Bises
André


Salut à tous,

Pour une fois, je vais prendre part au débat par mail-liste.
Je suis conscient que c’est une question complexe où chacun peut avoir son point de vue, ce qui n’empêche pas d’adopter un consensus qui soit le reflet d’une politique propre à TV Bruits.

Je me suis tout d’abord positionné en défenseur de la liberté du
réalisateur. Après tout, si je signe un papier, un documentaire, un
reportage ou n’importe quel document j’engage ma propre responsabilité et la mienne seulement. Je tiens donc à rester maître de mon propos
absolument. Mis à part les cas de co-écriture où chacun s’engage sur
l’intégralité du discours. J’ajoute que rendre service (en se faisant le relais d’un discours) est un acte volontaire et non de servitude. Sauf dans le cas d’une commande où un contrat est passé avec un PATRON.

Ceci dit, TV Bruits est un média qui se veut militant, citoyen etc.
Qui veut se faire le relais, le plus honnête possible, des actions et des mouvements militants, culturels, etc. Je pense donc que nous sommes les seuls responsables de cette démarche. Nous devons donc être le plus intègres possibles, à tous les instants de la production et de la diffusion. Je crois que la réputation de TV Bruits est sa meilleur garantie et que nous n’avons pas intérêt à nous nuire en trahissant les gens que nous voulons servir.

Dans l’exemple que donne André, des actions radicales à caractère
secret, je crois encore une fois que c’est à nous de savoir protéger
ce que nous défendons et les gens que nous filmons.

C’est donc en toute modestie que j’engage ma responsabilité dans ce
que je fais et que je l’assume à 100%. Et ce postulat me semble
irrévocable. Je ne souhaiterai donc pas être dépossédé, ni de ce que
je dis, ni de ma responsabilité. Je pense que ces deux choses sont
indissociables.

Néanmoins, il est clair que TV Bruits est dans une démarche
associative, participative et d’échange. Et je pense que les exigences du "sujet" ne peuvent relever que de ce cadre là, qui est un cadre
amiable. Et, pour autant, je ne vois pas de raisons que cela ne marche pas.

J’aurai donc tendance à faire confiance à chacun pour servir sans se
desservir ni s’asservir. Pour ça je ne connais que 2 critères : le bon sens et l’esprit critique, et une qualité : l’intégrité.

Intègrement votre.
Nico

P.S. l’intégrité n’est qu’une forme d’honnêteté intellectuelle.


C’est très intéressant..
Pour ma part, je crois que filmer quelqu-un-e est une violence plus ou
moins grande qu’on exerce sur l’autre.
Le montage est par exemple une réelle prise de pouvoir entre autres, sur les gens que tu as filmé...

Il y a un rapport de force qui s’installe dès qu’on sort la caméra. Et
selon ce que tu filmes, tu le négocies. En fait il y a un axe qui est celui dominant/dominé. Si je suis face à un dominant, je n’aurais pas trop de scrupules à lui voler son image, si je suis face à un dominé, il en sera tout autrement, j’accepterais de négocier les conditions d’utilisations de ses images. C’est pour moi un ax important. Quand à Tisséo je filme les robocops ou le directeur , je n’ai rien à foutre d’un droit à l’image (moralement en tout cas, juridiquement , donc financièrement parlant c’est autre chose).

Avec les Chibanis et la case Santé, je ne veux pas mettre leurs projets, et les militant-e-s en dificulté, je leur soumets donc les images... Soumettre les images aux dominés c’est aussi établir une relation de solidarité, d’échange, c’est faire dans l’éducation populaire... Dans ce que tu dis Nicolas, il y a une chose qui me gêne c’est que tu ne laisses pas la possibilité à l’autre de t’interpeller, et de te faire douter... Ton intégrité, elle n’existe que confronté à l’échange avec l’autre.. C’est dans ces confrontations qui ccommence aux
questionnements, jusqu’au fait de se faioe piquer le matos, qu’on prends la mesure de sa propre intégrité, qui bien souvent ne vaut pas cher... enfin je dis ça pour moi.

Quand tu filmes quelqu’un-e tu engages ta responsabilité et l’autre te
confies la sienne, tu n’es pas seul !

Voilà.... Mais tout ça est très intéressant

Deux émissions intéressantes sur un sujet très proche...

http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/pieds/fiche.php?diffusion_id=83020

http://sites.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/pieds/fiche.php?diffusion_id=83021

a+

André


Ok, j’entends ce que tu dis.
Dur dur pour moi de mesurer /a priori /ceux qui jouirons ou non d’un
droit à l’image. Par ailleurs, même si ce que tu dis de l’axe
dominant-dominé est intéressant et me fait réfléchir (cette idée fera
son chemin dans ma petite tête), je pense me positionner de façon
plus transversale par rapport à cet axe. Je ne suis l’opprimé ni
l’oppresseur de personne. Je ne domine ni ne souhaite être dominé par
personne. Peut-être un témoin, plus ou moins enthousiaste et
solidaire de ce que je vois.
En revanche ce que tu dis du rapport de force et de la violence
inhérente au face à face avec l’objectif me touche beaucoup. Je suis
moi même très gêné quand je dois filmer des gens sans avoir discuté
avec eux à l’avance (et dans une certaine forme négocié ma présence).
Je préfère d’ailleurs éviter.
Et je pense que la démarche de négociation est profitable et je ne la
rejette pas.
Je voulais juste dire qu’en tant que personne qui signe (et qui prend
une responsabilité en cela) je ne conçois pas de laisser le dernier
mot à qui que ce soit. Cela n’exclue pas une négociation avant cela.
Mais si il y a désaccord, je ne signerai pas et ne considérerai pas
cela comme mon travail.
Ce n’est que mon point de vue, théorique et radical, personne n’est
tenu de le suivre, mais moi je me sentirai en contradiction avec
moi-même si je ne respectai pas.
Ceci dit, j’admire ta position et dans les faits je pense ne pas en
être si éloigné (pas de pitié pour les milices de Tisséo et autres
agents de l’ordre établi, eheheh !)

Merci pour les liens.

Nico


J’ai remarqué qu’en général la personne filmée n’est pas la plus apte
à appréhender le rendu du montage, du comment on peut la percevoir en
regardant le film fini. C’est un peu comme lorsqu’on entend sa voix
lors d’un enregistrement sonore. Il y a comme une gène, une pudeur.
Souvent ce sont les personnes extérieur à cette relation filmeur/filmé
qui ont le meilleur jugement. Mais aussi le "réalisateur" car il
sait/sent ce que donne son montage. Les quelques fois où j’ai montré
mes films sur le banc de montage aux personnages principaux j’ai dû
expliquer ma volonté pour qu’ils puissent l’appréhender. Et puis, ils
la comprennent mieux lors des retours suite à une projection publique.
C’est souvent une question de confiance. Cette relation n’est pas
identique si c’est la première fois que l’on me voit ou si les gens
m’ont déjà croisé avec ma caméra et plus encore s’ils connaissent mon
travail ou si l’on partage quelque chose ensemble.
Je m’attache à construire une relation de confiance avant de filmer,
pour devenir aussi le plus transparent possible lors du tournage.
C’est aussi une histoire de gestes, de simplicité dans la manière de
faire, du dispositif, d’une décontraction, de sourires échangés, de
clin d’œil parfois, et j’explique aussi ce que je suis en train de
faire avec mon outil caméra.

Jean-Luc


Nicolas, tu dis que tu admires ma position, et c’est tout à fait normal,
je suis admirable en tout, dont acte !!!!!
Tu dis des trucs importants, comme le fait que c’est ta position et que
tu ne veux pas l’imposer à qui que ce soit...
C’est ce ton là qu’il faut trouver dans nos échanges, chacun-e cherche
son chemin, et il est juste question de dire où l’on en est...et
d’échanger sur cette base là...
Ne pas laisser le dernier mot à qui que ce soit... hummmmmmm
Quand j’ai filmé les Chibanis, et que la Case de santé voulait un
montage plus court, et ne montrant pas certaines choses... à un moment
j’étais prêt à leur filer les rush et à ce qui se démerdent... Ca aurait
été ma façon d’avoir le dernier mot... ;=

Jean-Luc, pour ce qui est de la culture de l’image chez le tout venant,
tu as raison, mais c’est en train de changer, les gens filment de plus
en plus avec tout et n’importe quoi, et commencent à se faire eux-même
une culture... Il reste que on a le devoir de permettre aux plus larges
masses de s’approprier l’image (ta tsouin tatsouin !). Et que ça passe
aussi par le fait de soumettre les images...
Il n’y a rien d’automatique, de systématique, bien sûr chaque cas est
particulier...

Mais ce que tu dis, prouve bien qu’on exerce un réel pouvoir en
maitrisant un tant soit peu ces processus de production...
Quand à se faire oublier, etc, oui bien sûr, mais là aussi ça dépend de
ce qu’on fait... n’empêche que dans ce que tu décris, on voit bien ton
côté séducteur, manipulateur.... tout ça pour arriver à tes fins !!!
Brigand !

Bises
André


Séducteur sans doute mais pas manipulateur. Je ne manipule pas. De plus en plus j’explique ce que je fais : plan large, plan serré, filmer une discussion en demandant la permission, le pourquoi...
Brigand ? Robin des bois peut-être ?
Une nouvelle culture de l’image aujourd’hui ? Je n’y crois pas. Je pense qu’il y a un appauvrissement. Cela en arrive à ne reposer que sur des chocs, et du discours : fête foraine + discours simple. Moins sur les sensations complexes provoquées par le montage image son, sur les ouvertures de possibilités de lecture, sur le/la poétique. C’est comme des sms : appauvrissement du langage et sens fermé.
Pour moi : on ne doit pas oublié la complexité et le poïétique.
Personnellement je l’oublie parfois et dans ce cas je ne suis pas satisfait.

Pour répondre à la question de Nico : je n’ai eu de comptes à rendre que pour mes films pour FR3...

Jean-Luc

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2 commentaires

  • Voilà donc une discussion intéressante et importante aussi. J’aimerais y apporter quelques commentaires. Vous filmez, j’écris, probablement autant que vous filmer. Le problème du rapport à la réalité se pose pour les uns comme pour les autres, et donc celui de savoir pourquoi et comment.

    Votre façon de filmer n’est pas innocente pas plus que ma façon d’écrire. C’est une re-transposition de la réalité, à partir de critères qui ne peuvent pas être autre chose que subjectifs et qui sont la plupart du temps non-dit. On peut par un petit tour de passe-passe sous entendre que le media-diffuseur donne suffisamment d’indice de ce non-dit, c’est ce que je fais. C’est plus facile pour l’écrit que pour l’image. Par là je veux dire que le lecteur prend plus facilement en compte la nature du support de l’écrit que celui de l’image. S’il baigne dans une « culture « de l’image il ne sait pas pour autant la lire comme il a, au moins en principe, appris à lire du texte. L’image, qu’on le veuille ou pas, qu’on le déplore ou pas, a envahit nos vies et crée un rapport particulier et souvent inconscient à ce média. Il n’y a jamais eu autant de films, ou plutôt d’images bougeantes mises en boite, qu’aujourd’hui. Il suffit de regarder Youtube et consort, pour se rendre compte qu’une sous-culture cinématographique existe, d’une part et que le fait de passer à la télé ou sur Dailymotion donne une réalité à ce que l’on est bien plus forte qu’un écrit, même si les traces laissées par ce dernier sont plus visibles longtemps.

    Il se trouve que j’étai aussi à Strasbourg pour le contre-sommet OTAN. Il est apparut clairement que la différence entre un filmeur « militant » et un filmeur « commercial » était ténue. L’un et l’autre sont perçus comme des chasseurs, l’œil rivé au viseur cherchant leur proie. A partir du moment où vous avez l’œil rivé à votre objectifs, face à un dominant ou un dominé vous êtes considérés par le filmé comme un dominant, comme quelqu’un qui se cache se protège qui est ailleurs. Cette absence de différence marquée (Logo reconnu ??) pose problème à tout le monde. Comment rendre compte non_objectivement ? L’objectivité est l’apanage proclamé des « commerciaux ». Pour vous qui n’en êtes pas, ou pas tout le temps, comment pouvez vous rendre compter de ce qui se passe de façon sympathisante et pourtant distanciée ? La pression pour faire du film de propagande étant aussi forte d’un côté que de l’autre. C’est la question qui est derrière celle du « droit de contrôle de l’image », et c’est probablement la question essentielle. Vous me filmez, soit, mais en plus vous demandez que je vous fasse confiance quand à la manipulation/mise en scène et la destination de l’image produite. C’est beaucoup.

    Je sais que c’est des grands mots, emphatiques, limite ridicules, mais vous avez une tâche historique devant vous à initier : l’acquisition d’un statut reconnu propre à votre activité, dont la reconnaissance émanera de ceux que vous filmez. Il ne suffit pas d’être clair entre vous il vous faut l’être aussi par rapport aux autres.

    Bon courage

    Pierre

    Strasbourg

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