Lettre ouverte de journalistes martiniquais à leurs confrères de la presse nationale

lundi 16 février 2009 dans Humeurs


Lettre ouverte de journalistes martiniquais à leurs confrères de la presse nationale
http://www.acrimed.org/article3079.html

Publié le 15 février 2009

Nous publions ci-dessous, sous forme de « tribune », une lettre ouverte d´un collectif de
journalistes martiniquais, que nous avons reçue - la date compte... - le mercredi 11
février 2009. (Acrimed)

Lettre ouverte à nos confrères de la presse nationale

Chers confrères, chères consoeurs,

Nous journalistes martiniquais vivons aujourd´hui une période agitée en ces temps de
crise. Vous n´êtes pas sans savoir - ou peut-être si ?- que de nombreux problèmes autres
que la crise récurrente du tourisme gangrènent ces départements d´outre-mer que vous
qualifiez parfois de lointains : vie très chère (quatre fois supérieur à la métropole),
chômage endémique (cinq fois supérieur à la métropole), inégalités sociales criantes,
monopole racial détonant...

Et pourtant inexorablement votre couverture de l´actualité reste la même : Pas un mot
(hormis quelques offs) après trois semaines de grève générale en Guadeloupe : pas une
question au président de la république et finalement une couverture qui arrive très
tardivement avec l´envoi du secrétaire d´état à l´outre-mer :Yves Jégo. Et quelle
couverture !!!

Une fois de plus vous vous engouffrez dans les clichés : le coup dur porté à l´économie
de ces îles déjà concurrencée par les îles voisines ou la main d´oeuvre est meilleur
marché et l´accueil bien meilleur (dixit Eric Zemmour dans l´émission « l´hebdo » sur
France 0 : « on connait la rudesse légendaire de l´accueil aux Antilles ») et ces
éternels marronniers sur les annulations des tours opérators.

Nous autres frappés de plein fouet par la réduction de nos personnels, par la
précarisation de nos emplois, regardons avec envie les moyens que vous déployez en temps
de crise (banlieue, hopitaux, industrie...) pour informer vos téléspectateurs, auditeurs,
lecteurs. Le nombre de sujets, de déclinaisons, d´angles différents donnés à vos
reportages. Vous êtes soucieux de donner la parole aux uns et aux autres, de faire des
portraits, d´investiguer pour une couverture qui se veut la plus objective possible.

Alors, nous sommes surpris que dans la situation très particulière dans laquelle nous
nous trouvons aujourd´hui, vous manquiez à ce point d´imagination. Peut-être parce que
vous n´êtes pas sur le terrain ? Alors voici quelques suggestions d´angles si jamais vous
vouliez vous intéresser autrement que par des clichés à nos réalités.

Concernant le tourisme...

Savez-vous que bien avant le déclenchement de la mobilisation, la situation était déjà
catastrophique dans le secteur hôtelier de Martinique ? Des sites prestigieux
martiniquais sont liquidés, livrés à la spéculation immobilière, des centaines de
salariés sont jetés à la rue parce que les spéculateurs choisissent de remplacer les
hôtels par des résidences qu´ils vendent à des prix exorbitants que très peu de
martiniquais peuvent s´offrir.

Avez-vous déjà essayé de faire le portrait d´une retraitée en Martinique qui touche 800
euros et qui doit acheter un yaourt : 4 euros 99 contre 1 euros 50 en métropole (la même
marque) ?

Avez-vous mis une de vos équipes sur ce rapport détonant paru dans Le Monde sur les
profits extraordinaires faits par les compagnies pétrolières aux Antilles ?

Sur le nombre de chômeurs : 25% (contre 8% dans l´hexagone), obligés eux aussi d´acheter
des produits cinq fois plus chers qu´en France hexagonale avec les mêmes allocations,
certains avec bac+5, 6, 7, qui ne trouvent pas de travail en Martinique.

Sur les marges exorbitantes des distributeurs ?

Et il y en a des sujets à décliner !!! Embauche systématique de cadres européens au
détriment des cadres locaux, bétonisation des terres, malaise social... Pourquoi pas un
portrait de cet homme qui dirige le collectif à la tête de la grève en Guadeloupe, devenu
un héros pour toute la population guadeloupéenne ? Qui est-il, d´où vient-il, pourquoi
cette adhésion incroyable des Guadeloupéens de toutes classes à cette mobilisation ? Mais
peut-être que tous ces sujets ne vous intéressent pas, ne font pas people dans vos JT ?

Alors laissez-nous finir en vous disant que nous autres journalistes martiniquais avons
le sentiment que cette crise est bien plus profonde que tout ce que nous avons pu vivre
précédemment. Que le documentaire de Canal Plus diffusé la semaine dernière sur les békés
de la Martinique, une caste de blancs créoles qui vit en autarcie et qui détient une
grande partie de l´économie et des terres en Martinique, a profondément remué et choqué
nos compatriotes et nous-mêmes et qu´à l´évidence, il y a des blessures profondes qui se
réveillent. Il se passe des choses qui méritent des analyses, des visions et des
explications.

Nous essayons de faire notre métier d´information le plus justement possible mais nous
n´avons aucune prise sur les médias nationaux. Vous seuls pouvez choisir les angles qui
vous intéressent : la communication de Matignon (qui aujourd´hui craint plus que tout la
contagion aux autres DOM et aux Français de l´hexagone), les annulations des tours
opérators ou alors vous pouvez traiter tout le reste. Si jamais ça vous intéresse !!!

Bien fraternellement

Un collectif de journalistes martiniquais

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1 commentaire

  • en plus de ce qui est écrit, je suis surprise, étonnée de constater que les rédactions font appels à des envoyés spéciaux.
    Des parisiens ou en tout cas des journalistes de métropole envoyés pour traiter du sujet ? Les journalistes locaux sont-ils trop bêtes pour analyser, commenter, enquêter ? Ne seraient-ils pas crédibles en cas de simple "décrochage" ?

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